Sektor Gaza – «Préservatif» (diptyque en latex ou «du déficit et de l’explicite»)

Quand on parle du «sexe en URSS», on aime souvent citer, comme témoignage de l’obscurantisme sexuel dans lequel le régime tenait le peuple, cette réponse austère d’une femme soviétique : «ou nas seksa niet» – «il n’y a pas de sexe chez nous», prononcée en 1986 lors d’un «pont télévisuel», un télémost, entre des femmes des États-Unis et de l’Union Soviétique. On oublie alors généralement de citer la question de la spectatrice américaine dont le fond était «chez nous, la publicité tourne beaucoup autour du sexe, est-ce également le cas chez vous?» – «Il n’y a pas de sexe chez nous, nous sommes catégoriquement contre…» [voix énergique de la salle:] «Il y a du sexe chez nous, mais pas dans les publicités!». Question et réponses un peu naïves à une époque où les Soviétiques n’avaient pas goûté à toutes les vertus de la «réclame», et pouvaient encore voir des avenues qui n’étaient pas défigurées par l’enchaînement de panneaux publicitaires, dont le nombre a fini par ratatiner toutes les idoles d’antan.

L’éducation sexuelle en Russie post-soviétique, à l’aube des années 90, c’était très sommaire : le journal SPID-Info (SIDA-Info), édité pour la première fois en 1989 par le Parti, mais qui se transformera vite, la libéralisation aidant, en organe de presse jaune ; le torrent de VHS d’Emmanuelles, de thrillers érotiques et de films plus explicites qui dévalaient de derrière le «cordon», le Rideau de Fer désormais grand ouvert ; et bien sûr il y avait Sektor Gaza qui, entre plaisanteries de cour de récré et profonde conscience sociale, délivre un tandem de morceaux qu’on ne peut qualifier que de «modes d’emploi». Un musicien amateur, connu simplement sous le pseudonyme «PereZ» (Перец – litt. «poivre», «poivron», signifiant «un type», «un gugusse») résume dans son morceau dédié à Sektor Gaza, au début des années 2000 :

Qui d’autre que lui mon pote,
Nous aurait parlé de la capote ?

Déformation de l’anglais condom, le gandon russe est à la fois une «capote» et un «connard», un «enfoiré», un «sans-gêne». Youri «Khoï» Klinskikh, le punk de kolkhoze à la tête du groupe, parle au nom du préservatif et endosse parfaitement cette dualité, puisant son inspiration comme il a parfois l’habitude de le faire : sans trop se gêner ou se préoccuper des détails de crédits ou de droits d’auteurs. La première partie de «Préservatif» pique toute son instru à «Get Down, Make Love» de Queen, plagiat éhonté qui passerait presque pour de la parodie fair use de nos jours.

Le refrain de «Préservatif – 2», lui, puise dans un morceau de yé-yé italien des années 60, popularisé en URSS par une reprise de Muslim Magomaiev, et devenu dans sa forme populaire la plus connue une chanson sur le «samogon», le tord-boyaux artisanal que l’on distille à partir de sucre, de betterave, de patates ou de tout ce qui tombe sous la main dans les campagnes post-soviétiques. Notons que dans la dernière vidéo, le vocaliste n’est autre que Oleg «Managuer» Soudakov, comparse de Egor Letov et figure mythique du punk sibérien. Managuer a ressuscité autour de soi le projet «Kommunizm», et interprète régulièrement ce morceau issu du concept-album «Лет Ит Би (Let It Be)» (1989), regroupant des chansons «de cour (d’immeuble)», dvorovaia pesnia. Dans cette version populaire immortalisée par Letov, on boit du samogon pour oublier la mort, la violence et la peur de se faire atomiser par des missiles américains.

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«Préservatif (1re partie)»

Préservatif… préservatiiif…
Préservatif… préservatiiif !

Mettez-moi sur votre gland,
Sur vot’ gros concombre rutilant,
Enfile-moi sur tout l’engin…

Préser- (-vatif), enfile-moi vite,
Préservatif… préservatif…
Préservatif… préservatiiif !

J’suis juste du caoutchouc, c’est la vérité,
Mais je sauve ton pénis des MST,
Avant de vous mettre à forniquer,
Enfilez vite un préser- !
Préser- !
Préservatiiif !

(Préser-)
Je suis comme ça,
(-vatif)
Je suis fort,
(Préser-)
Je suis comme ci,
(-vatif)
Oui, et alors ?
(Préser-)
Comment que tu m’as appelé ?
(-vatif)
(Préser-)
Un « gandon » ?
(-vatif)
Et bien, soit, je le suis,
Soit, je le suis, soit !
(Préser-)
Mais je suis une denrée rare ! [*]
(-vatif)
Preservatif…
Préservatif…

J’suis juste du caoutchouc, c’est la vérité,
Mais je sauve ton pénis des MST,
Avant de fourrer la fente vaginale,
Enfilez vite un préser- !
Préser- !
Préservatiiif !

«Préservatif (2e partie)»

Je suis l’médicament le plus important,
Je suis dur à trouver [*], j’rends tout le monde content,
Avec moi tu peux fourrer sans aucune galère,
Dans n’importe quel trou, devant ou derrière,
Je ne coûte pas cher, juste dix kopeks.
Mais tu risques pas d’crever, et tout est impec’,
J’te sauverai de la chtouille et des verrues anales,
Avec moi ce sera d’la balle !

Hey-yeah-yeah, hali-gali,
Hey-yeah-yeah, ouille-ouille-ouille !
Hey, on a chopé le SIDA,
Hey-yeah-yeah, dans les couilles!

Vas-y, enfile-moi sur ton gland,
Ça t’évitera de crever connement,
C’est vrai qu’avec moi, c’est un peu moins bien,
Mais je protège du SIDA ton burin,
Si tu me négliges fais gaffe à tes couilles,
Car elles vont vite choper la chtouille,
Et si les nanas commencent à me respecter,
Il ne faudra plus courir avorter !

Hey-yeah-yeah, hali-gali,
Hey-yeah-yeah, ouille-ouille-ouille !
Hey, on a chopé le SIDA,
Hey-yeah-yeah, dans les couilles!

Je peux être un jouet pour les enfants,
Alors n’hésitez pas, papas-mamans,
On peut me remplir à l’eau du robinet,
Sur les passants par la fenêtre me jeter,
Si tu t’es coupé le doigt, n’hésite pas,
Enfile-moi sans crainte sur ton doigt,
On peut même me gonfler comme un ballon,
Et m’agiter aux manifestations !

Hey-yeah-yeah, hali-gali,
Hey-yeah-yeah, ouille-ouille-ouille !
Hey, on a chopé le SIDA,
Hey-yeah-yeah, dans les couilles!

Titre Original : Сектор Газа – «Презерватив»
Album : Ночь перед рождеством (1991)

[*] en russe : defitsit, «déficit», «pénurie», terme utilisé pour faire référence à la pénurie chroniques de certains bien de consommation en URSS, en particulier à la fin des années 80, quand elle a touché les produits les plus vitaux (dont les préservatifs).

Merci à Jules du site enrussie.fr pour sa version qui m’a motivé à pondre tout ce qui précède et qui m’a soufflé quelques rimes.

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Pionniers soviétiques regardant «Magazine pour adultes» // «Nanas à poil»
Illustration de Vassia Lojkine

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