Egor Letov – «Que l’Anarchie soit (ou pas)» (triptyque chaotique)

Quand on consacre, en tant que traducteur et rédacteur de blog, une bonne partie de son temps et de ses efforts à un artiste spécifique, il est à la fois gratifiant et humiliant de découvrir des chercheurs qui, tout en abondant dans votre sens, remettent vos maigres réflexions dans un contexte plus global et, surtout, beaucoup mieux structuré. J’espérais trouver une telle confirmation dans les travaux d’une certaine Hélène Piaget, qui aurait comparé un de mes groupes fétiches, Krasnaia Plesen’, au poète Daniil Harms. Hélas, après avoir interrogé tous les sociologues avec qui je pouvais avoir un contact, dont des gens qui connaissent des gens qui occupent de hauts postes à la Sorbonne, il semblerait que cette «professeure d’anthropologie sociale» et spécialiste du punk russe citée par une journaliste du site Pravda.ru n’existe tout simplement pas. Par contre, j’ai en parallèle eu le plaisir de découvrir la thèse de Julien Paret (Inalco) intitulée Territoires informationnels et identités politiques : Chorographie réticulaire des communautés virtuelles socialistes dans la Russie post-soviétique de 2008 à 2017, qui me conforte dans ma conviction que le poète et musicien Egor Letov est un personnage œcuménique pour une grande partie des «socialistes» (et, accessoirement, des marginaux) de toutes les Russies, aussi controversé qu'adoré, parce qu'il est plein de contradictions qu'il assume totalement.

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Vladimir Vyssotski – «La visite d’une Muse, ou La chansonnette du plagiaire» (feat. Pouchkine et Akhmatova)

Peu de sens se perdent, dans une traduction consciencieuse. C'est juste que, de temps à autre, pour retranscrire un verbe, il vous faudra une phrase, pour expliquer un concept, il vous faudra deux-trois chansons, et si vous voulez ne serait-ce que commencer à cerner un personnage, vous devrez lui consacrer un paquet de billets et de liens. On apprend parfois au traducteur que la note de bas de page est un aveu d'échec, alors qu'elle n'est qu'un aveu de manque de temps et d'espace, si l'essentiel pour vous est le sens. Traduire des chansons permet d'atténuer le seul véritable écueil de la traduction littéraire et poétique, à savoir la dynamique et la sonorité du texte original : quand j'adapte une chanson, même si j'essaye, tant bien que mal, d'en singer le rythme et les rimes, je n'ai pas forcément besoin de vous expliquer toutes les consonances, les échos des idiotismes [1], la profondeur des voyelles, le raclement dans la gorge, vous les avez en version audio.

Sektor Gaza – «Soupe au choux» (du pathétique et du symbolique)

Au vu de la relative diversité musicale que propose l'œuvre de Sektor Gaza (SG), on peut penser que c'est un groupe qui a évolué avec le temps ou qui «défie les étiquettes» – un peu punk mais très pop-rock quand même – alors qu'il est surtout l'héritier d'une tradition du punk «pathétique» remontant à des britanniques comme Toy Dolls, passant par les français de Ludwig von 88, et refusant obstinément de terminer sa course avec Krasnaia Plesen', héritiers spirituels de SG qui se sont contentés d'augmenter de quelques crans le politiquement incorrect et le folklore dans la formule.

Sektor Gaza – «Préservatif» (diptyque en latex ou «du déficit et de l’explicite»)

Quand on parle du «sexe en URSS», on aime souvent citer, comme témoignage de l'obscurantisme sexuel dans lequel le régime tenait le peuple, cette réponse austère d'une femme soviétique : «ou nas seksa niet» – «il n'y a pas de sexe chez nous», prononcée en 1986 lors d'un «pont télévisuel», un télémost, entre des femmes des États-Unis et de l'Union Soviétique. On oublie alors généralement de citer la question de la spectatrice américaine dont le fond était «chez nous, la publicité tourne beaucoup autour du sexe, est-ce également le cas chez vous?» – «Il n'y a pas de sexe chez nous, nous sommes catégoriquement contre...» [voix énergique de la salle:] «Il y a du sexe chez nous, mais pas dans les publicités!». Question et réponses un peu naïves à une époque où les Soviétiques n'avaient pas goûté à toutes les vertus de la «réclame», et pouvaient encore voir des avenues qui n'étaient pas défigurées par l'enchaînement de panneaux publicitaires, dont le nombre a fini par ratatiner toutes les idoles d'antan.

Sektor Gaza – «Les riches pleurent aussi»

Sektor Gaza est un groupe pour lequel il est problématique de dresser un tableau clair ou de nettes tendances dans l'évolution des thématiques abordées au fil des albums, si ce n'est la disparition progressive des railleries contre le régime communiste, suite à la chute de ce dernier, et une volonté passagère de rendre la musique plus commerciale sur quelques morceaux ou albums en supprimant le langage explicite ou argotique voire même le ton très familier qui sont parmi leurs marques de fabrique (cf. «Lirika», «Touman» ou l'album Gazovaia Ataka). Tout cela n'est pas arrangé par le fait que, comme la plupart des rockers de l'ex-URSS, ils ont profité des meilleures conditions studio auxquelles ils ont pu avoir accès dans les années 1990 pour réenregistrer une partie de leurs vieux tubes, et pas forcément dans le bon ordre.

Grajdanskaia Oborona – «Terre Natale»

Quand on traduit du russe, à force, on finit par tomber sur des conventions de traduction aussi agaçantes qu'immuables. Prenons, par exemple, la transcription française du russe qui, trop souvent, est incapable de remplir sa fonction première : indiquer, de manière approximative, à une personne ignorant la langue et/ou l'alphabet source, la manière de prononcer tel ou tel mot. Parfois, on est confronté à des problèmes fondamentalement insolubles, comme la lettre «ы» – vous aurez beau remplacer par un i, un y ou un x, ça ne créera pas de son pouvant suffisamment s'en rapprocher en français – et parfois, on subit des règles d'un autre âge, quand des gens se sont dit que ce serait une bonne idée, par exemple, de retranscrire la lettre «щ» par un très élégant et lisible chtch.

Alla Pougatchiova – «Un million de roses»

Alla Pougatchiova, dans le genre monstres sacrés de la musique de variété russe et soviétique, est un peu la vieille sorcière increvable, ou la femme talentueuse et tenace dont la carrière musicale traversera tous les cataclysmes et renouveaux, c'est selon. C'est le très populaire ensemble vocal et instrumental [1] «Les Joyeux Gars» qui lui servira de tremplin, au milieu des années 70, et à partir de là Alla vit le rêve soviétique: le morceau «Arlékino (Arlequin)» décroche le grand prix à un festival en Bulgarie, puis s'ensuivra une bonne décennie de succès artistiques.