Alla Pougatchiova, dans le genre monstres sacrés de la musique de variété russe et soviétique, est un peu la vieille sorcière increvable, ou la femme talentueuse et tenace dont la carrière musicale traversera tous les cataclysmes et renouveaux, c’est selon. C’est le très populaire ensemble vocal et instrumental [1] «Les Joyeux Gars» qui lui servira de tremplin, au milieu des années 70, et à partir de là Alla vit le rêve soviétique: le morceau «Arlékino (Arlequin)» décroche le grand prix à un festival en Bulgarie, puis s’ensuivra une bonne décennie de succès artistiques.
Dans les années 90, elle s’est retirée de la scène pendant quelque temps, mais a pu maintenir sa notoriété à flot grâce à la presse jaune, entre fausses couches, liposuccions et son mariage avec Filipp Kirkorov, grande star de la pop russe à l’époque. Si vous interrogez le quidam moyen sur les plus grands succès de Pougatchiova, il peinera probablement à nommer une chanson écrite après 1985. «Un million de roses» est un morceau du très populaire poète Andreï Voznessenski sur une musique déjà existante du non moins populaire compositeur soviétique Raimonds Pauls, écrite à l’origine pour un texte en letton, «Dāvāja Māriņa» (et qui n’a aucun rapport, si je ne me trompe pas, avec les millions et les roses). Selon la légende, Alla n’aimait pas le texte de Voznessenski, le trouvant trop simple, mais ce dernier refusait d’y apporter des changements, ce qui n’empêchera pas la chanson de devenir un gros succès dans toute l’URSS et même au-delà : il existe des adaptations en japonais, en finnois ou en persan, et même en français, ce qui m’évite l’effort de la faire moi-même.
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Adaptation en français par Philippe Daniel
Il était une fois un peintre
N’ayant que toiles et couleurs.
Mais il aimait une actrice,
Celle qui adorait les fleurs.
Alors il mit à la vente
Ses toiles, son humble demeure
Et de la sorte acheta
tout un océan de fleurs.
ref. x2
Un million, un million, un million de roses rouges [2]
Par la fenêtre, par la fenêtre, par la fenêtre tu découvres.
Lui qui t’aime, lui qui t’aime, lui qui t’aime pour de vrai
Changera toute sa vie en fleurs pour toi.
À la fenêtre elle se pose,
Ça fait vraiment quelque chose –
Tel un spectacle grandiose,
La place déborde de roses.
Son âme se glace un instant:
Qui est ce drôle d’amoureux?
Et, dans un coin, tout tremblant,
Le beau garçon baisse les yeux.
ref x2
Un million, un million, un million de roses rouges
Par la fenêtre, par la fenêtre, par la fenêtre tu découvres.
Lui qui t’aime, lui qui t’aime, lui qui t’aime pour de vrai
Changera toute sa vie en fleurs pour toi..
La belle rencontre fut brève,
Elle partit à la nuit close,
Mais dans sa vie il y avait
Le merveilleux chant des roses.
Les toiles du peintre devenues célèbres,
N’eurent désormais qu’un seul thème,
Une place couverte de fleurs
Une belle à sa fenêtre qui l’aime. [3]
ref x2
Un million, un million, un million de roses rouges
Par la fenêtre, par la fenêtre, par la fenêtre tu découvres.
Lui qui t’aime, lui qui t’aime, lui qui t’aime pour de vrai
Changera toute sa vie en fleurs pour toi..
Titre original : Алла Пугачёва – «Миллион роз»
Publié sur le mini-album [4] Миллион роз (1983)
[1] Vokal’no-Instrumental’nyï Ansambl’, ou VIA
[2] Dans le texte original, les roses sont en fait «écarlates», alyie, mais je suppose que l’auteur de l’adaptation a préféré «rouge» pour des raisons de rythme.
[3] C’est le seul endroit où l’adaptation change l’esprit du texte russe qui, traduit presque littéralement, donnerait :
Le peintre a vécu seul
Il a connu beaucoup de malheurs,
Mais il y avait dans sa vie
Une place remplie de fleurs.
[4] Pour parler d’un mini-album (EP pour les anglophones), généralement d’un vinyle, on peut utiliser en russe le terme minion, du fr. «mignon».
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Alla Pougatchiova interprétant «Million de roses» au festival «Chanson de l’Année 1983» (Песня Года ’83)
A chaque fois que j’entends cette musique maintenant je pense au début du film « la terre outragée » https://www.youtube.com/watch?v=zj9N_LBAIHk
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Pour la note anecdotique: cette chanson a été la cible, il y a deux ans, d’un hoax émanant, apparemment, de petits plaisantins azéris qui ont «révélé au monde» que Pauls et Voznessenski auraient pompé un tube de la chanteuse iranienne Gougoush.
Je vous invite à ne pas perdre de temps et à ne pas regarder cette vidéo, sachez simplement que quand on ne vous donne pas le titre original de la chanson et qu’on prétend faire une révélation aussi choquante, c’est que c’est probablement bidon. Et ne parlons même pas de la vidéo sur laquelle la chanteuse ne fait aucun mouvement de lèvres et des synthés et de la basse venus du futur radieux de la fin des années 80.
https://www.gazeta.ru/culture/2017/02/18/a_10532093.shtml
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