Dans le texte qui suit, certains prénoms ont été modifiés afin de m’épargner l’effort de réinventer des rimes. Une note sur l’utilisation de «tiotia» (тётя) et, par extension, du masculin «diadia» («дядя»), dans la langue russe : dans le langage enfantin ou dans le langage familier, ce sont les «civilités» utilisées pour évoquer des personnes proches ou bien connues : des membres de leurs familles (véritables tantes), mais également des voisins, amis de la famille ayant (plus ou moins) le même âge que les parents. Tiotia / diadia est souvent associé à la forme «hypocoristique» du prénom (le «petit nom», comme Sacha, Nadia, Gricha, Léna, Liocha, Fédia, etc.) Cet usage est complété par le vocatif «prénom formel + nom patronymique» («Nadiejda Vasilievna», «Fiodor Pétrovitch») quand on s’adresse à des représentants de l’autorité, comme votre patron ou une institutrice. Mais parmi les représentants de «l’autorité», il peut y avoir des exceptions intéressantes, ainsi le gardien de nuit de l’école (notchnoï storoj) ou le milicien de quartier (outchiastkovyï) pourra quand même être «diadia Kolia» – «tonton Nico».
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Krasnaia Plesen’ – «Sortez couverts» [1]
« Même si ce n’est pas évident,
Faut boire du lait, les enfants. »
Nous affirmait tatie Rose
En mourant d’une cirrhose.
« Que tu sois vieux ou gamin
Avant d’manger, lave-toi les mains. »
Nous disait tatie Véra
Qui a péri du choléra.
« De nos jours, quand t’injectes une seringue
Tu t’attends pas à un truc de dingue »
Rigolait tatie Sandrine
En prenant trop d’héroïne.
« Prends des douches froides et alors
Tu peux aller tout nu dehors »
Nous répétait tatie Mélusine
Avant de mourir d’une angine.
« Être une maman et une femme,
Ça donne vraiment mal au crâne »
Se plaignait tatie Marguerite
Elle est morte d’une méningite.
« Il n’y a rien de pire pour la santé
Que de traverser quand le rouge est allumé »
A craché tatie Zoé
Sous les roues du tramway.
« Quand tu choisis un époux
Faut bien être sûre de son coup »
Insinuait tatie Chloé
Que notre oncle a étranglé.
« Si vous tenez à votre vie
Faut pas aller en Tchétchénie »
Proclamait tatie Isabelle,
Disparue sans donner de nouvelles. [2]
« Si vous voulez renforcer votre corps,
Faut consacrer de l’attention au sport »
Soutenait tatie Alizée
Elle est morte d’un AVC.
« Pour passer un bon moment
Un seul homme suffit rarement »
Nous déclarait tatie Frida
Hélas fauchée par le Sida.
« Dans le centre de not’ pays [3]
Y’a encore des gens en vie »
C’est une phrase de tatie Hélène,
Décédée d’une gangrène.
[1] Littéralement «préserve-toi/protège-toi», slogan de la campagne sociale russe pro-préservatifs.
[2] Dans la deuxième moitié des années 1990 et la première moitié des années 2000, le Caucase russe, et en particulier la Tchétchénie et ses alentours, étaient des endroits où avaient régulièrement lieu des disparitions forcées et autres kidnappings, ayant pour objectif d’obtenir des rançons, de faire pression sur les autorités ou simplement réduire les personnes enlevées en esclavage.
[3] «В нашей среденей полосе» – «Dans notre “frange[/bande] centrale”», ce terme désignant le «cœur» de la Russie : Moscou, Smolensk, Iaroslavl, Vladimir, etc.
Titre original : Красная Плесень – «Предохраняйся»
Album : От окраин до Кремля (Des confins jusqu’au Kremlin), 2003
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«Animal dangereux / ne pas nourrir»
Illustration de Vassia Lojkine.