Des chansons écolo, en fait, dans sa période «classique» (1986-1992), Nol’ en a quatre : les trois traduites traduites ci-dessous, plus «Kislotnyï dojd’» («Pluie acide»), que je traduirai, peut-être, une autre fois.
Dans l’URSS de la «transparence» post-Tchernobyl, l’écolo est généralement dépressif, ou au moins très pensif. La bien-nommée «Chanson écologique russe» a une rengaine de requiem, tout en guitares et plaintes éraillées ; l’accordéon, instrument emblématique du groupe, ne fait son apparition qu’à la fin.
« Chanson écologique russe »
Les murs étroits d’une boîte de béton,
Les pensées enchaînées, bougeant à tâtons.
L’air est si dense, rien pour respirer
Et je voudrais tellement m’en aller
Je tends une oreille vers le son de ta voix
Braquant mon regard vers la terre qui se noie
Les bouleaux [1] sont noirs de suie et de poussière
Que mes larmes percent d’une sève printanière [2]
Une odeur d’infection sort de ce marécage,
Des traces de lèpre sur certains visages,
Les usines recouvrent la terre en un réseau
Ils chient et crottent, en la tuant.
Les murs étroits d’une boîte de béton,
Les pensées enchaînées, bougeant à tâtons
L’air est si dense, rien pour respirer,
Et je voudrais tellement m’en aller.
[1] Les bouleaux symbolisent, dans l’imaginaire russe, la «nature pure» de la Russie, celle où il fait bon vivre.
[2] Dans le texte original, Tchistiakov utilise un terme plus recherché, «вешняя», mais je je n’ai pas réussi à caser «vernal» dans ma traduction…
Titre original : Ноль – «Русская экологическая»
Album : Полундра! (Sauve-qui-peut!), 1992
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«Les Tramways roulaient dans les rues [3]» dilue le désespoir dans un peu de mélancolie nostalgique : le système soviétique, même s’il favorisait souvent la performance de ses entreprises face aux normes écologiques, pouvait avoir, par son aspect communautaire, un impact positif. Le capitalisme galopant et ses milliers de voitures d’occasion ne vont rien arranger.
« Les Tramways roulaient dans lа rue »
Une fois, au mois de mai, à son début,
Fracas, grincement, poussière, c’est le panard,
Les tramways roulaient dans les rues,
S’en allant pour mourir quelque part.
(bis)
Les voitures fonçaient en ronronnant,
Des voitures puantes et toutes dégueu,
Et les arbres pleuraient à chaudes larmes,
Et, crachant la merde, chuintaient les pneus.
(bis)
Voilà, mes amis, quel caprice de la nature,
Pour aller au travail, fallait courir,
Les tramways roulaient dans les rues
S’en allant quelque part pour mourir
Les tramways roulaient dans les rues
S’en allant au dépôt pour mourir.
[3] En fonction des enregistrement, «rue» est au singulier ou au pluriel («по улице» dans la plupart des versions live/«по улицам» dans la version studio)
Titre original : Ноль – «Ехали по улице трамваи»
Album : Песня о безответной любви к родине («Chanson d’un amour à sens unique envers sa terre natale»), 1991
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Enfin, dans le «Bio-robot errant», l’humain est remis à la place qui lui revient : il n’est pas seulement la victime ou le spectateur nostalgique de la Fin des Haricots, il est aussi celui qui cuit les carottes, les mange, les chie, se reproduit et recommence. L’humeur, si elle est toujours assez sombre, est plus au boggie progressif et fielleux de neuf minutes.
« Biorobot errant »
Les minutes comptent les jours,
Les jours comptent les années.
Tu te tiens sur la route
Sans savoir où aller.
L’avenir est un brouillard,
Le passé un bobard.
(bis)
Raconte donc, de quoi rêves-tu ?
De lendemains radieux ?
De succès au travail ?
Ou de joie dans ta vie privée ?
Que tu sois gai ou amer,
En paix ou en guerre,
De quoi rêves-tu,
Biorobot errant ?
De quoi rêves-tu…
Biorobot errant ?
Vois les scientifiques, ces ordures
Ces petits rois de la nature
C’est la récolte avant l’heure,
Savoure le fruit de tes labeurs
Il y a des cachetons contre la chiasse et la constipation
Et on peut prendre son pied devant la télévision
En passant son temps à regarder des putains
Qui remuent leur arrière-train
Et le champ est semé de mort,
Les eaux sont empoisonnées,
Des champs électriques et des nuages
Et des saloperies à tous les étages !
Oh que seront belles les baies,
Si les fleurs sont aussi belles ! [4]
Les branches emmêlent les pieds,
Les feuilles bruissent dans les oreilles.
La nature est vaincue,
Toutes nos félicitations !
En récompense pour ce bienfait
La cata [5] se hâte vers nos maisons !
La cata est particulièrement proche…
La cata est proche comme jamais…
La cata est venue et elle est toujours à tes côtés…
O-Oh, c’est la cata !
Des jours difficiles arrivent,
Des carcans en pierre.
Non, personne n’est ici par hasard,
Mais qui est mêlé à l’affaire ?
Et dites-moi de quel droit
Et pour quelle raison,
Nous avalons du poison
Et ils conduisent leur exactions ?
Et pour quel petit plaisir
Nous vendons ce monde ?
Pour noyer de parfum
De vieilles chiottes immondes ?
Vers quel lendemains radieux
Es-tu encore prêt à faire un bond ?
Bio-robot errant,
T’as vraiment pété un boulon !
De quoi rêves-tu…
Biorobot errant ?
(ad lib)
La révolution est terminée, place à la discothèque !
[4] En référence à l’expression populaire russe « это только [/еще] цветочки» – «ce ne sont [encore] que les fleurs», sous-entendu «потом будут ягодки» – «après viendront les baies [/fruits]». Généralement utilisé au sens de «ce n’est que le début»/«le pire est à venir».
[5] Une fois de plus, je vais vous expliquer à quel point c’est dur de traduire «пиздец». En fait non, je réserve ça pour mon prochain billet qui sera (encore) consacré aux vulgarités russes et surtout au diptyque central «хуй/пизда».
Titre original : Ноль – «Блуждающий биоробот»
Album : Полундра! (Sauve-qui-peut!), 1992
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«L’étranger – La Terre natale»
Triptyque de Vassia Lojkine.
Un commentaire sur “Nol – Triptyque écologique”